Dans sa quête des plus beaux tissus, Atelier Particulier se voit souvent rencontrer des ateliers empreints d’une forte attache territoriale.
En sortant des sentiers battus et en explorant les savoir-faire du monde, une infinité de possibilités se dévoilent. Récemment, on vous parlait du tissage de la soie à la main au Cambodge, du tressage traditionnel de la palme de raphia à Madagascar ou encore des hirondelles du Pays Basque et la couture à la main d’espadrilles.
Aujourd’hui notre route du savoir-faire fait escale dans les Îles Baléares, où le savoir-faire de l’ikat traditionnel a été remanié comme nulle part ailleurs. La méditerranée, son atmosphère, son soleil et son peuple ont influencé cet artisanat ancestral reconnu pour sa difficulté.
Plongeons aujourd’hui dans l’univers de l’ikat majorquin, ce tissu coloré à qui l’atelier local Riera fait honneur depuis 1896.
L’ikat n’appartient à personne. Du moins cette technique n’est pas rattachée à un unique territoire. C’est un tissu voyageur, qui a vu 1.000 peuples se l’approprier et constituer des savoir-faire à part entière. Pour comprendre les raisons de sa diversité, il faut remonter à ses origines.
Un ikat peut représenter une grande variété de tissus et techniques différentes. S’il aurait vu le jour au 11e siècle, en Chine du Sud, son nom provient de l’indonésien et se rapproche des verbes lier ou attacher. L’ikat part d’une technique de teinture à la réserve, qui consiste à teindre des fibres textiles tout en recouvrant certaines zones, les empêchant ainsi de se colorer, à des fins esthétiques. On vous expliquera plus en détails dans la suite !
On doit le rayonnement de l’ikat à la route de la soie, utilisée pendant des siècles pour nourrir les échanges entre l’Asie et l’Europe jusqu’au 15e siècle. On a ainsi vu la technique se répandre en Inde, en Asie du Sud-Est ou au Moyen-Orient. Autour du 18e siècle, le tissu exotique était prisé par les nobles Français et Italiens. Ceux-ci ont fait importer les artisans et leurs métiers à tisser, notamment à Majorque, où une forte culture de l’ikat a commencé à se développer.
En revanche les experts ne peuvent encore peut pas se prononcer sur l’arrivée de ce geste en Amérique Centrale et du Sud, c’est dire le mystère qui plane autour de ce savoir-faire.
L’ikat connaît alors ses années de gloire auprès des riches familles européennes. Son tissage demande de la patience, de l’expérience et du matériel de qualité. C’est donc une étoffe rare et onéreuse, qui symbolise la richesse et l’ouverture des plus puissants.
Ce n’est qu’à partir des deux Guerres Mondiales que les nombreuses manufactures d’ikat européennes commencent à sombrer dans l’oubli. Une seule île saura préserver ses ateliers traditionnels et son éclat d’antan : Majorque.
Majorque reste l’unique gardien du savoir-faire de l’ikat en Europe. Ce dernier fait maintenant partie intégrante de la culture locale, qui l’a grandement transformée depuis son arrivée au 18e siècle.
La particularité de l’ikat majorquin réside dans ses inspirations méditerranéennes. On sait déjà que le climat, les paysages, la faune et la flore influencent largement les pratiques d’une culture. Qu’est-ce qui pourrait alors résulter d’un territoire insulaire ensoleillé, aux influences espagnoles ?
Si vous avez pensé « couleurs » et « motifs », vous avez tout à fait raison !
Ouvrons désormais les portes de l’atelier qui nous intéresse aujourd’hui, l’un des derniers détenteurs de ce savoir-faire tisserand exceptionnel : Riera.
La Maison voit le jour en 1896, période faste pour l’ikat majorquin. Gabriel Riera installe alors ses métiers dans le village de Biniamar, au centre de l’île. Très rapidement, il perfectionne son geste et fonde la réputation de l’atelier, avant de déménager une dernière fois dans une ville voisine, Lloseta. La famille Riera y confectionne encore son ikat et dévoue un attachement profond au n°50 Carrer Major.
Les métiers utilisés il y a 125 ans sont encore en place, comme si rien n’avait changé dans ce lieu intemporel. C’est une manière de représenter l’esprit de transmission de la famille Riera.
Le savoir-faire du tissage de l’ikat est loin d’être évident. Il demande patience, minutie et surtout du temps. Ce qui le différencie, entre autres, des techniques se rapprochant du tie and dye, est l’étape de teinture. Celle-ci se déroule avant le tissage, donc sur les fils, et non avec un tissu fini. Cela implique une création de motif au moment du tissage, alors qu’un teinture post-tissage fera naturellement apparaître un motif. Vous devinerez alors que ce sont les artisans qui créent eux-mêmes les motifs d’ikat ! L’atelier Riera a bien voulu nous éclaircir sur le sujet, en détaillant chaque étape de confection :
Riera ne compose qu’avec des fibres naturelles de lin et de coton. Les fils arrivent à l’atelier sous cônes de couleur brute pour faciliter la teinte. On les place dans le cantre, la partie de l’ourdissoir qui alimente les bobines, puis on les regroupe. On noue autour des fils des réserves, qui serviront à recouvrir les zones que l’on ne souhaite pas teindre. La première étape représente, à elle-seule, 1 journée entière de travail.
Le principe est simple : on plonge les fils regroupés et noués de leurs réserves dans un bain de teinture. Après quelques heures, le fil est teint de la couleur désirée et l’on peut retirer les réserves pour laisser apparaître le changement de couleur. C’est une étape qui relève surtout de la qualité du pigment utilisé.
Ici, pas de surprises. Quelques heures de séchage dans un environnement adéquat et le tour est joué.
Pouvant prendre jusqu’à 3 jours, c’est l’étape la plus fastidieuse dans la confection de l’ikat majorquin. On place les bobines teintes dans l’ourdissoir, puis l’on vient minutieusement aligner et arranger chaque fil pour ainsi former le motif. C’est une étape cruciale qui, si elle n’est pas parfaitement exécutée, forme un motif dissonant. Chez Riera, on ne laisse aucune place au hasard puisque si le motif ne respecte pas le pattern désiré, tout est à refaire !
Comme le veut la tradition majorquine, la Maison Riera pratique une technique d’ikat en chaîne. Ce terme indique que seulement les fils de chaîne sont réservés et teints, alors que la trame est d’une couleur naturelle. C’est du lin qui est utilisé en trame à l’atelier Riera.
Il existe deux autres techniques de tissage. L’ikat en trame n’implique qu’une teinture que sur les fils de trame. Quant à l’ikat double, réputé comme le plus difficile à maîtriser, ce sont la chaîne et la trame qui sont teintes. Il faut alors parfaitement maîtriser l’entrecroisement afin de créer un motif uniforme. Ce savoir-faire n’existe que dans certaines provinces ou villages au Japon, à Bali ou en Inde.
C’est le passage obligatoire après la fin du tissage. Riera porte une attention particulière au toucher, à la résistance et à la bonne exécution du motif avant d’accepter un métrage.
Si l’on connaissait le tissage traditionnel de l’ikat, son interprétation majorquine nous a impressionné. D’une part par le sentiment de connexion naturelle entre l’atmosphère méditerranéenne et le tissu final. D’autre part par une perception très terre-à-terre des étapes traditionnelles de confection d’un ikat. Gabriel Riera et Catalina Crespí, les actuels gérants de l’atelier et héritiers du savoir-faire d’il y a 125 ans, ont toujours respecté au plus haut point leur artisanat. En plaçant l’exigence et la créativité au même point, Riera est devenu un atelier emblématique de Majorque, où la tradition ne risque pas de se perdre.
Sur Instagram @atelierpart
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