À travers les âges, le lin, fibre aux propriétés sans égal, a été travaillé par l’Homme. Des rives du Nil à la cour du Roi-Soleil, il n’a eu de cesse de révéler ses propriétés à qui a su en tirer parti.

On le sait peu, mais c’est en France, et notamment en Anjou, dans le Languedoc, en Bretagne, ou encore en Normandie que se fixa sa culture. À elle-seule, la Normandie représente, encore aujourd’hui, 80% de la culture de lin… mondiale.

Lors de votre prochain voyage sur les routes normandes, ouvrez-les yeux, vous verrez que la petite fleur bleue est omniprésente.

Depuis le XVIIème siècle, la France ne cesse de développer son savoir-faire pour arriver à ce qu’il est aujourd’hui : le travail d’une des fibres textiles naturelles les plus réputées et appréciées au monde.

Dans cette histoire, maintenant plusieurs fois centenaire, une entreprise tire son épingle du jeu. Vous connaissez notre mission : vous ouvrir les portes des ateliers. Alors, bienvenue aujourd’hui chez cette Entreprise du Patrimoine Vivant d’une longévité remarquable : Lemaitre-Demeestere.

Lemaitre-Demeestere jouit d’une position particulière : la 5ème plus ancienne société Textile de France. Elle fait également partie des premières (et l’une des dernières) à s’être spécialisé dans le travail du lin : nous sommes face à une institution.

Créée en 1835, dans la commune d’Halluin (dans les Hauts-de-France), à l’initiative du maire de la ville, Édouard Lemaitre-Demeestère, la petite entreprise démarre son activité sobrement. À cette époque, les moyens de la ville sont trop réduits pour entreprendre la construction d’une usine.

Mais, rapidement, l’avènement des chemins de fers et de la machine à vapeur booste les ambitions de l’atelier. En moins de 50 ans, la petite commune d’Halluin se fait une place parmi les acteurs majeurs de l’industrie textile.

En effet, les métiers à tisser traditionnels sont alors épaulés par des machines plus conséquentes, semi-automatisées. Ces dernières soulagent le travail des artisans tout en leur permettant de se concentrer sur des finitions à valeur ajoutée. Tel que le bobinage, le canetage ou l’ourdissage.

Comment expliquer ce succès ?

Pour traverser le temps, l’atelier a un secret : il bénéficie d’une agilité opérationnelle rare pour le secteur.

La première cause de disparition des savoir-faire réside en la difficulté pour les ateliers à accompagner les évolutions d’usage et de mode de leur époque. C’est un fait : il est très délicat et risqué de transposer des savoir-faire traditionnels (centenaires, parfois millénaires !) dans une époque où les innovations sont constantes.

Chez Lemaitre-Demeestere, ce qui pourrait être faiblesse est considéré comme une opportunité. Depuis plus de 150 ans, la société ne cesse de faire évoluer son activité pour rester ancrée dans son époque. C’est le moyen qu’elle a trouvé pour ne jamais devoir se délocaliser et quitter son territoire.

En 1910 par exemple, les fils d’Édouard, Paul et Joseph Lemaitre rejoignent l’entreprise. Sous leur dynamique, l’atelier développe une activité de tissage de tissu d’ameublement en parallèle de la production de fil.

Leurs expertises dans la confection du lin est telle qu’ils réussissent à créer des tissus assez solides et esthétiques pour habiller du mobilier. Un tissu d’ameublement est censé être une véritable armure, qui dure des années entières.

La finesse et la solidité d'un fil de lin dans toute sa splendeur. Pour la petite anecdote, il faut savoir que le lin est la fibre naturelle la plus solide au monde.

Le secret de cette adaptabilité réside dans la volonté de l’entreprise de protéger et transmettre son savoir-faire. Depuis ses débuts, la famille Lemaitre-Demeestere veille à valoriser la transmission familiale du savoir-faire.

Les parents prennent les enfants en apprentissage afin de partager la tradition. Et les enfants s’approprient ensuite le savoir-faire de leurs ainés pour s’adapter à leur époque. C’est un cycle vertueux qui a encore cours aujourd’hui.

Dans l'histoire de l'artisanat, le savoir-faire mécanique est bien trop souvent ignoré. Nous ne cesserons jamais de le dire. Il est pourtant tout aussi important que le savoir-faire traditionnel. En effet, derrière chaque machine se trouve la main d'un artisan.

Originellement, l’atelier est reconnu pour la finesse (extrême) de ses étoffes en lin. Les machines à tisser anglaises couplées au savoir-faire des artisans permettent de créer des tissus à la fois fins et solides.

Puis au début des années 1990, la concurrence asiatique tire les prix vers le bas et inonde le marché de tissus très fins, certes, mais souvent plus fragiles. Le sujet est pris à bras le corps par les dirigeants de l’atelier et ces derniers décident de capitaliser sur le savoir-faire des artisans pour développer une nouvelle technique de tissage.

En quelques années, l’atelier se hisse parmi les 3 seuls tisseurs au monde à pouvoir confectionner un tissu si dense que le poids de l’étoffe atteint 1,5kg par mètre carré. Soit en moyenne 4 fois plus lourd que ce que l’on peut trouver sur le marché. Une performance qui montre la volonté de préserver le savoir-faire de l’atelier, en plus d’une résilience face à une concurrence sacrifiant trop souvent la qualité pour des prix plus attractifs.

Une chose est sûre : Lemaitre-Demeestere a marqué l’histoire du Textile en France. Et nous ne sommes pas les seuls à le reconnaitre. Lemaitre-Demeestere est le seul tisseur français à être reconnu Masters of Linen. Ce label garantit la traçabilité 100% européenne à chaque étape de transformation d’une pièce.

Ainsi le Club Masters of Linen est la garantie maximale du lin "100% Made in Europe", de la plante au fil et au tissu. Une preuve d’excellence pour les professionnels et les consommateurs.

Enfin, le prestigieux label Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV), que vous commencez à connaitre si vous nous suivez régulièrement, s’est intéressé au savoir-faire de l’atelier. Pour rappel, le label EPV distingue et valorise le savoir-faire artisanal et industriel d’excellence d’ateliers et manufactures françaises.

Le label EPV c'est le label que nous suivons le plus. Il est à nos yeux le meilleur label du secteur pour protéger et valoriser les savoir-faire qui nous tiennent à coeur ! Fort de sa tradition, et de ses reconnaissances multiples, Lemaitre-Demeestere ne se repose pas sur ses lauriers. Sa dynamique historique est venue s’affirmer de nouveau en juin 2020 par l’association avec le groupe coopératif Nat’Up, capitalisant sur le Made in France.

Cela nous rappelle évidemment les initiatives portées par Velcorex et Emanuel Lang, cette-fois ci en Alsace (on en parle dans cet article).

En ce moment, la filière lin en France bouge, renaît, évolue, et Lemaître tient un rôle crucial en tant que plus vieux tisseur de lin français. Ce n’est pas tout : Nat’up travaillant activement pour le développement de la filature de lin français, on peut se dire que Lemaître filera peut-être bientôt et à grande échelle, du lin 100% français.

Par sa longévité, Lemaitre-Demeestere semble nous donner une leçon : la clé du succès pour une entreprise durable, c’est de maîtriser l’art d’appliquer avec rigueur ses savoir-faire, tout en les transmettant et en les remettant au goût du jour.