Dans une Écosse qui affirme son savoir-faire lainier, la modeste ville de Stewarton s’impose peu à peu comme la spécialiste d’un domaine très spécifique : le bonnet.
Comme pour tout savoir-faire dit « historique », il faut quelque peu remonter dans le temps pour trouver les origines d’une telle tradition.
La nôtre prend sa source à l’aube du 15ème siècle, alors que la renaissance s’annonce à peine.
Petit poisson dans une grande mare
Cette spécialisation de Stewarton dans le bonnet s’explique en partie par la situation géographique de ce village.
Stewarton est située à 28kms de Glasgow, dans l’East Ayshire : une région particulièrement rurale du nord de l’Écosse.
À la jonction de l’Irvine River et de Annick Water, le village bénéficie de deux sources d’une eau pure : un heureux hasard pour qui voudrait laver la laine, et surtout la tisser.
Naturellement, cette localisation idéale fut loin d‘être la propriété exclusive du petit village de Stewarton. Durant ce même 15ème siècle, la ville voisine de Kilmarnock et surtout la métropole locale, Glasgow, s’orientèrent progressivement vers les savoir-faire lainiers, et bonnetiers.
Contrairement à ce que son nom semble indiquer, la bonneterie n’a rien à voir avec la confection des bonnets ! Elle désigne en réalité le travail de la maille de manière générale, et surtout l’art du tricot. Dans notre cas cependant, cela n’empêchera pas Stewarton d’utiliser l’art bonnetier pour faire… des bonnets. La boucle est bouclée.
À peine distancées de quelques kilomètres, ces véritables places fortes de la confection textile formaient une concurrence bien trop rapprochée et offensive pour demeurer paisible des siècles durant. À l’aube du 16ème siècle, elles entameront ainsi une guerre économique sans merci, prohibant tout acte de commerce adverse sur leur terre. Ce qu’on pourrait appeler un voisinage inhospitalier.
De prime abord, l’affrontement paraissait bien déséquilibré, car la ville de Kilmarnock était (et demeure toujours) bien plus peuplée et puissante que sa cadette du Nord : plus de 40.000 habitants contre à peine 7.000. Glasgow, elle, était déjà une des villes les plus importantes d’Écosse. Une opposition commerciale sans grand suspense. Du moins en apparence.
Car en 1650, et après des décennies d’embargo et de pression commerciale acharnée, aucunes des cités concurrentes n’avait su prendre l’avantage. Elles durent ainsi se résoudre à formuler un traité égalitaire ré-autorisant le commerce dans la région : « the Great Agreement ».
Un dénouement inattendu pour la petite ville du bonnet ? Pas vraiment : à Stewarton, le bonnet est une affaire d’honneur.
Être un bon artisan ou ne pas être
Depuis plus de 200 ans, et les premiers pas de leur savoir-faire lainier, la « Bonnet Toon » et ses habitants avaient créé leurs propres institutions afin de préserver et d’encadrer leur art : la Guilde du Bonnet et surtout, son tribunal de Corsehill.
Particulièrement respecté à Stewarton, le tribunal établit une règlementation très stricte quant au filage, tissage et tricotage de la laine. Ses inspecteurs étaient ainsi chargés de contrôler la qualité des pièces confectionnées : un bonnet trop léger ou mouillé afin d’augmenter son poids était par exemple passible d’une amende importante.
Chaque famille (car le savoir-faire bonnetier était exclusivement transmis au sein même du foyer) devait ainsi concevoir les pièces les plus abouties possibles : un mauvais fabricant de bonnet n’avait pas sa place dans le marché de la ville.
Particulièrement structuré, le commerce des bonnets de Stewarton était essentiellement administré par la Guilde. Elle pouvait notamment décider de stopper l’industrie locale pour éviter un excédent de production et une dévaluation du prix de leurs pièces. Les couvre-chefs de la ville étaient prisés, et devaient le rester.
Dans ces périodes-là, gare aux artisans qui pensaient d’ailleurs travailler à Kilmarnock : ils s’exposaient au mieux à des taxes, au pire à une radiation.
Avec l’avènement de la révolution industrielle et de la mécanisation de la production, ce modèle particulièrement strict disparut progressivement, et laissa la place aux manufactures et aux ateliers. Pas question, cependant, de renier des siècles d’héritage et d’exigence : la qualité instaurée par leurs prédécesseurs devait perdurer.
À partir du 18ème siècle, la ville continua ainsi à s’imposer comme une référence dans le travail de la laine, cette fois sous toutes ses formes. Elle s’illustra d’ailleurs par la qualité de ses tartans, le tissu traditionnel écossais à carreau, mais également par la chaleur de ses pièces d’hiver et la finesse de son tweed.
Une tradition bonifiée avec le temps
Aujourd’hui encore, Stewarton n’a rien perdu du prestige qu’elle a construit au fil des siècles : une pièce confectionnée dans la « Bonnet Toon » est un gage de qualité et d’exigence. Les ateliers de la ville font cohabiter la technologie de pointe au savoir-faire manuel authentique de leurs ancêtres, puisant toujours dans l’eau pure de l’eau Annick pour laver leur laine.
En plus d’être essentielle dans l’économie de la ville, la tradition bonnetière est indissociable de sa culture. Chaque année, elle est ainsi célébrée lors d’un festival entièrement dédié, organisé par la guilde du bonnet qui perdure encore aujourd’hui.
Une tradition centenaire qui prouve à qui en douterait qu’à Stewarton, le bonnet est une affaire d’honneur.