Si Gien, Quimper ou Lunéville sont des villes de faïence, c’est assurément à Nevers que se trouve le berceau français de ce type de céramique. De cette petite ville des bords de Loire, où l’on ressent encore l’opulence des années fastes de cette céramique, le savoir-faire s’est diffusé aux 4 coins de l’Hexagone et s’est exporté bien au-delà.
Retour sur un succès céramiste en revenant sur ses origines.
La légende veut que la faïence soit arrivée à Nevers depuis Faenza, ville italienne d’Émilie-Romagne, à l’occasion du mariage de Ludovico Gonzaga, Louis de Gonzague, à la dernière héritière de la Maison de Clèves, Henriette. Déjà sous l’Empire romain, cette ville de la province de Ravenne était reconnue pour sa maitrise des céramiques. Maitrise qu’elle a ensuite porté à la forme d’art, jusqu’à influencer sa voisine transalpine.
Mais revenons à la légende de l’arrivée de la faïence sur les terres bourguignonnes. Comme souvent, la vérité est légèrement différente de la légende. Mais d’assez peu, finalement, ici. Le tout nouveau Duc de Nevers appela auprès de lui des verriers italiens d’Altare, en 1572, soit 7 ans après son mariage.
Ce sont ensuite ces verriers qui, de leur propre chef et investissant pour développer l’artisanat de leur patrie d’adoption, firent venir des compatriotes faïenciers. Ils donnèrent, sans l’imaginer peut-être alors, naissance à la faïence française.
À leur arrivée, les faïenciers italiens eurent la lourde tâche de contribuer à finaliser le palais ducal. Avec un apport décisif : le pavement qu’ils créèrent pour l’occasion, aux emblèmes de la famille Gonzague-Clèves, constitua le début de la production de faïence polychrome, rarissime jusqu’alors.
Avant Gambin et Conrade (leurs noms ont été, comme de coutume à l’époque, francisés), la vesselle était blanche, ou parfois légèrement décorée de motifs grossiers bleu ou jaune. Majoritairement, l’émail était blanc, légèrement laiteux et remplissait un office précis : assurer l’étanchéité de l’argile une fois cuite. Elle aurait été poreuse, sinon : difficile pour une cruche de perdre les eaux.
1643 est l’année de couronnement du Roi-Soleil, qui jouera un rôle majeur dans l’avènement des arts et artisanats français, sous l’impulsion décisive et reconnue de Colbert, mais pas seulement. 1643 est une année charnière pour la faïencerie bourguignonne. C’est à cette date qu’Edme Godin et Pierre Custide rachètent l’un des ateliers fondés par les Italiens, l’Autruche.
Les deux compères français profiteront du développement des voies fluviales vers Rouen, en passant par Paris et feront ainsi de leur atelier la 1ère manufacture préindustrielle de Nevers. Avec eux, 19 artisans produiront en série des pièces qui se vendront bien au-delà de la ville.
Les décors de leurs premières collections de faïence sont étroitement associés à l’influence du Moyen-Orient. Un peu plus tôt, les artisans de Ligurie avaient adopté ces camaïeux de bleu qui illustraient la nature, faune comme flore.
Les Nivernais suivront cette tendance, avant de créer leur propre style dans la 2nde moitié du 17ème siècle. Le style « franco-nivernais » est caractérisé alors par la maîtrise des camaïeux de bleu et par des motifs, souvent inspirés de gravures, représentant des scènes mythologiques, religieuses, pastorales et, parfois, des scènes de chasse. En parallèle de ce style typiquement nivernais, la ville bourguignonne assécha l’importation de porcelaines extrême-orientale, très en vogue au 17ème siècle.
La ville néerlandaise de Delft et Nevers se firent concurrence en Europe en imitant les décors et les formes des porcelaines chinoises. Bien qu’alors appelées porcelaines, en référence à la technique chinoise, ces copies étaient bien des faïences !
Personnages mythologiques, faune, flore, ville de Nevers : tous ces éléments ont été représentés par les faïenciers au cours des siècles. Il est un motif, discret, que personne ne remarque, mais qui a son importance. C’est le fil rouge (ou plutôt bleu) de la céramique nivernaise : le fond ondé.
Ce trait caractéristique se retrouve pour la 1ère fois en 1585, dans une pièce actuellement exposée au Louvre. Ces vagues qui s’entrecroisent et scandent un rythme graphique sur la faïence ne la quitteront plus. A la mode au 17ème siècle, ce fond ne disparait ensuite plus. Il est repris, avec plus ou moins de vigueur, selon les époques. Qu’il représente le cours de la Loire, toute proche de la cité de faïence, ou la conquête de terres nouvelles par la mer : peu importe.
Il est l’identité de Nevers, pour des siècles à venir
Les modèles ci-dessus et leurs détails impressionnants sont exposés au Musée de la Faïence et des Beaux-Arts de Nevers.
Le 18ème siècle sera une ère de paradoxe pour la faïence de Nevers. La faïence n’aura jamais été aussi populaire, dans toutes les couches de la société. Elle se vendra en millions et millions d’exemplaires. Blanche pour le tiers-état, la plupart du temps, polychrome pour les acheteurs de la noblesse : chacun en fonction de ses moyens.
Au-delà même des frontières françaises, la faïence de Nevers connaitra son heure de gloire : il n’est encore pas rare d’en retrouver trace aujourd’hui dans des fouilles archéologiques sur la côte Est des États-Unis.
Mais, malgré cette diffusion sans précédent, le savoir-faire nivernais souffrira de la concurrence d’autres industries : la métallurgie et la verrerie, notamment.
Cette concurrence sera même double. Bien sûr, les acheteurs auront plusieurs options sur la table, pour ainsi dire. Mais c’est surtout la concurrence pour les ressources, les combustibles principalement, qui encouragera les autorités françaises à réduire le nombre d’ateliers autorisés à exercer leur art à Nevers.
La fragilité économique et trans-générationnel des ateliers, comme le manque chronique d’investissement dans leur outil de production, décidera du destin de la faïence de Nevers.
Mais le 18ème siècle est également un siècle de créativité exceptionnel. Nevers fit d’abord sien le style rouennais dit « de lambrequin » : un fond bleu aux motifs blancs, mais avec moins de réserve que les Normands.
Puis la ville, forte de 1.500 à 2.000 artisans à son apogée, vers 1760, riposta avec vigueur à la concurrence montante de Lille, Moustiers ou Rouen. Pour éviter de se trouver banalisée dans un océan de faïences toutes semblables.
Alors, des décors complexes et polychromes se font jour : les motifs floraux s’épanouissent et trouvent un nouveau souffle grâce à l’utilisation massive du bleu, du vert et, même, de rouge, à la maitrise plus difficile. Le jaune viendra ensuite compléter la gamme, juste avant la Révolution. Révolution dont les effets se feront rapidement sentir, d’autant plus que les bases du Traité de Vergennes de 1786, signé avec l’Angleterre, seront défavorables à la France.
Peut-être grisée par son succès, Nevers avait en effet fini par privilégier la quantité à la qualité. Mais la faïence anglaise, bénéficiant de frais de douane de 12% et moins chère, s’avéra une concurrence redoutable pour le savoir-faire français.
En 1791, 6 des 12 fabriques nivernaises se retrouvent, pour ainsi dire, au chômage technique.
Jamais plus, après la Révolution, Nevers ne retrouvera la place qu’elle occupait sur l’échiquier faïencier mondial. En 1800, les stocks d’invendus constituent un lourd passif, et les effectifs dans les 10 ateliers restants ont fondu à 470 artisans. Mais la faïence de Nevers du 19ème documente chaque soubresaut de l’histoire tumultueuse française. L’Empire comme les animaux exotiques : l’air du temps influence les motifs de faïence.
Cette créativité ira de pair avec une innovation économique : en 1818, les manufacturiers signent un partenariat visant à mutualiser la commercialisation de leurs stocks et à promouvoir la marque Nevers, quel que soit l’atelier dont la faïence est issue.
Mais cette association fera faillite en 1946 alors qu’il ne restait, en 1843, que 6 ateliers à Nevers et moins de 150 artisans. La porcelaine, plus économique, et plus au goût d’alors, sera une concurrente redoutable, avec Limoges en place forte.
Il faudra l’audace entrepreneuriale d’un homme, Antoine Montagnon, pour relever la faïence nivernaise. Mais pour un temps seulement. Sur la base du rachat l’atelier le Bout du Monde en 1875, il construira un atelier de plus de 100 artisans en 1880, reprenant le matériel des ateliers qui ferment. Fort d’un prix à l’Exposition Universelle de Paris de 1878, le succès sera réel jusqu’à sa mort en 1910, malgré les conflits sociaux qui aboutiront à la création d’un concurrent par des ouvriers.
Les hauts et les bas se sont poursuivis tout au long du 20ème siècle pour la faïence de Nevers, jusqu’à aujourd’hui. Seuls 2 ateliers perdurent – sur 6 en 2000 – et perpétuent ce savoir-faire multiséculaire : Faïencerie Georges et la Faïencerie d’Art de Nevers.
Comme toujours avec le savoir-faire, il nous appartient à tous qu’il nous survive.
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