Chez de nombreux céramistes, notamment industriels, le savoir-faire vise à travailler la terre pour lui donner une forme parfaite, lisse, symétrique et uniforme d’un objet à l’autre. Souvent, donc on cherche à gommer les défauts de la terre, dans une forme de standardisation de la pratique de céramiste. Alors exempte de tout défaut, les manufactures montrent alors leur maitrise du savoir-faire et leur ingéniosité en domptant la nature capricieuse de la céramique.
Certains céramistes se positionnent à contre-courant de cette pratique, pour laisser vivre la nature-même de la terre. Jars Céramistes est de ceux-là.
Chez Jars - comme les amateurs aiment les appeler -, l’imperfection et le laisser-aller sont au cœur même du savoir-faire de leurs artisans.
Pour ceux-ci, rien n’est plus important que l’histoire de la pièce.
Très forte en caractère, chaque réalisation nait du savoir-faire de l’homme et de l’imprévisibilité de la matière. Et notamment le grès.
Le grès comme matière de prédilection
Lorsque le créateur de l’atelier, Pierre Jars, démarre son affaire en 1875, ses idées sont déjà très claires. Il souhaite aller à l’opposé des riches décors et couleurs que l’on trouve un peu partout à cette époque.
L’ostentatoire n’est pas pour lui. Pierre Jars défend une forme de simplicité.
Pour allier le beau à l’utile, il commença par concevoir des poteries horticoles. Des pièces solides, rustiques, qui doivent supporter les conditions du monde extérieur et les caprices des plantes.
Comme matériau principal, il choisira le grès. Cette terre glaise mélangée à des sables fins donne des céramiques particulièrement résistantes une fois cuites. L’alignement est parfait.
Cela tombe bien, sa région de la Drôme est connue pour posséder des sols riches en argiles et en minéraux, indispensables pour former du grès. Il installe donc son atelier dans la ville d’Anneyron, en plein cœur de cette dernière.
Les premières pierres de Jars sont posées.
Cette culture de la solidité et de la naturalité s’est rapidement hissée au rang de tradition séculaire chez Jars. Depuis sa fondation il y a 146 ans, la manufacture n’a jamais changé de direction. Elle s’y est même engouffrée pleinement.
Car, petit à petit, la volonté d’hier s’est mué en savoir-faire : celui de cultiver le meilleur de la matière. Même ses imperfections.
Le savoir-faire de l’acceptation
Pour tout céramiste, la cuisson, c’est le moment de vérité. Ce n’est qu’en sortant la pièce du four que l’on sait si l’on a réussi ou non. Réussite ou échec, c’est le four qui prendra ce destin en main.
Pour Jars, c’est à ce moment-là que l’histoire prend forme.
Après avoir cuit la pièce une première fois pour que sa forme se solidifie, on applique un émail et on le plonge dans « le grand feu ». Il s’agît de la seconde cuisson réalisée à 1380°.
À cette température, la terre glaise entre en fusion avec le sable, et donne au Grès émaillé ses caractéristiques finales :
- Sa forme
- Sa nature non-poreuse
- L’aspect « vitreux » de l’émail
Or, chaque émail réagit différemment à la cuisson dit « grand feu » qui peut provoquer :
- Des effets et motifs inattendus
- Des modifications de couleurs
- Des textures imparfaites
Loin de s’en préoccuper, Jars cultive cette grâce du hasard. Ils disent eux même « assumer cette part de maladresse ». Chacune de leurs pièces est unique : ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre.
Ce qu’ils ne vous disent pas, c’est que la part de hasard est la partie émergée de l’iceberg. Pour obtenir une céramique de grande qualité, les artisans doivent maitriser chacune des étapes à la perfection.
Chez Jars, le hasard n’est pas un facteur de chance. C’est un savoir-faire qu’ils ont appris à maitriser et magnifier.
Un esprit qu’ils ont poussé encore plus loin en 2017, lorsque l’atelier a créé, avec son directeur artistique Pierre Casenove, une collection qui rend hommage à l’art de l’imperfection : le Wabi-Sabi.
Un savoir-faire céramiste français … mais aussi japonais
Au Japon, Wabi définit un sentiment de mélancolie, de solitude et de calme, alors que le Sabi célèbre la contemplation de ce qui est vieux, usé, parfois décrépi. Ensemble, ils forment le Wabi-Sabi, une philosophie de la modestie qui célèbre la beauté des choses imparfaites, impermanentes et incomplètes.
Cette idée ressort particulièrement dans les céramiques japonaises, souvent brutes, imparfaites et marquées. D’ailleurs, elles sont parfois habillées d’un émail craquelé, symbolisant le poids du temps, et l’humilité.
Cet esprit Wabi-Sabi, Jars le cultive depuis ses débuts. D’abord sans le savoir, puis volontairement à partir de 2017.
La collection qu’ils ont imaginée fait la part belle aux formes brutes, parfaites-imparfaites.
Toutes ces pièces sont asymétriques et renferment à la fois textures irrégulières et couleurs contrastées. Dans le plus pur esprit Wabi-Sabi.
Pour y parvenir, les émaux ont été jetés ou déposés délicatement à la louche pour donner naissance à des motifs aléatoires et riches.
La forme est épurée à son maximum afin de conserver un niveau de praticité optimal. N’oublions pas que l’utilité est le ciment fondateur de Jars.
Signe d’un travail artisanal et manuel d’exception, la matière est magnifiée en plusieurs textures. Le résultat est aussi surprenant que raffiné.
Cette prestation est une belle image du savoir-faire séculaire qui a hissé Jars au rang des Entreprises Françaises du Patrimoine Vivant (label EPV).
Ce savoir-faire singulier, Jars Céramistes le cultive en secret.
Car depuis toujours, l’entreprise prône sa liberté.
Sa liberté de transmettre son savoir-faire d’abord. Sans jamais laisser les diktats et les modes s’imposer à elle.
Sa liberté de créer ensuite. Inspirée et secouante, Jars joue, innove et tente en permanence.
Une belle histoire de savoir-faire, qui démontre l’importance de rester cohérent avec sa culture et ses traditions quand on est un acteur du savoir-faire.