Au cœur des Alpes, encore françaises à cet endroit, non loin de Bourg Saint-Maurice, siège un chalet particulier dans la plus pure tradition savoyarde.
Ce chalet ne ressemble néanmoins à aucun que vous avez déjà vu ou, pour les plus chanceux, habité quelques jours voire, même possédé.
Ce chalet n’accueille pas les après-skis.
Sur le feu ne mijote pas le vin chaud.
Ce chalet n’est pas celui du repos du guerrier après la journée de ski. Il est celui de l’artisan au labeur qui perpétue une tradition de savoir-faire lainier depuis 8 générations.
En 1817 en effet, à Séez Saint-Bernard, les frères Alexis et Jean-Baptiste Arpin créent la filature qui porte leur nom. En ce temps-là, le duché de Savoie n’appartient pas à la France qui n’a pas la même forme, donc, sur la carte de l’Europe. Deux ans plus tôt, la défaite de Napoléon à Waterloo a rebattu la géographie européenne. A ce moment-là, en 1815, les princes de Savoie reprirent possession de leur duché après 22 ans d’interruption.
Les soubresauts de l’Histoire forgent certainement les hommes. Mais la géographie des lieux et leurs activités leur sont un ancrage plus stable. En exploitant la laine des alpages alentours, et en adoptant la roue à aube pour capter l’énergie de l’eau du torrent voisin, les deux frères ont imposé un choix radical à leurs descendants : Arpin est inscrit dans son territoire et n’en bougera plus.
Aujourd’hui encore, 203 ans plus tard, Jacques Arpin y travaille, avec ses coéquipiers, la laine d’alpage.
Maitre Lainier, il choisit et trie la laine, la fait sécher, la bat, la carde et la file. Le tout dans le souci permanent du respect des gestes que ses aïeux lui ont transmis. Et qui sont son héritage et le patrimoine de sa famille.
Ce patrimoine, il le fait vivre.
Quand la filature Arpin s’attelle à tisser une Muletière, les gestes ont un sens puisé dans l’histoire et les besoins du territoire. En haute montagne, depuis des siècles, l’Homme et la mule font jeu commun. La seconde aide le premier à déplacer les vivres, de col en col, de village en village. La muletière prend ses origines et son nom dans le besoin d’une couverture épaisse pour l’animal. Le résultat est un drap de laine qu’Arpin continue de confectionner, épais et dense comme avant : 700 grammes par m2.
Mais Arpin ne serait rien sans le Drap de Bonneval. C’est avec ce drap de laine que les frères Arpin lancèrent leur filature en 1817. Dans les années 1800, le Pape de Bonneval-sur-Arc fut l’un des premiers à arpenter les Alpes en tant que guide de haute montagne. Pierre Blanc, de son vrai nom, popularisa ce drap de laine dans sa vallée et bien au-delà. Le rebaptiser de son nom fut l’hommage que lui rendit la manufacture, qui prit grâce à lui une autre échelle.
Outre Pierre Blanc, l’histoire de la filature Arpin est jalonnée de montagnards et explorateurs célèbres, parmi lesquels Paul-Émile Victor qui s’équipa d’Arpin pour ses célèbres Expéditions Polaires.
Il n’est pas de hasard.
Ces instants où Arpin a participé de la grande Histoire sont le résultat d’un objectif qui dépasse n’importe quel autre : la maitrise de son savoir-faire à travers le temps.
Si Arpin n’a jamais refusé la modernité, en étant l’une des 1ères à adopter l’électricité hydraulique dans la vallée, elle est fière de son patrimoine mécanique classé au Patrimoine National. Le loup-batteur, qui décompacte les ballots de laine, date de 1865. L’ourdissoir, qui rassemble le fil en bobines, remonte, lui, à 1890.
En son sein, donc, Arpin synthétise les évolutions de chacun des temps que la filature a traversé.
Serait-ce le secret d’une longévité exceptionnelle qui permet à ses plaids et coussins de trouver toute leur place dans nos intérieurs, aujourd’hui ?